Extension de la notion de dépenses de conservation d'un bien indivis au remboursement anticipé du prêt
Par un avis rendu le 5 juillet 2023 (C. cass., Civ. 1ère, 5 juill. 2023, n° 23-70.007), la Cour de cassation vient logiquement étendre le domaine des dépenses de conservation d'un bien indivis au remboursement anticipé, par l'un des indivisaires, du prêt ayant servi à l'acquisition du bien immobilier, et confirme donc la nécessaire application à la situation liquidative qui en découle de l'article 815-13 du Code civil.
L'on savait depuis longtemps que la prise en charge, par un indivisaire (concubin, partenaire de Pacs, époux marié sous le régime de la séparation de biens ou tout époux en indivision post-communautaire) des échéances courantes d'un prêt immobilier constituait pour lui l'engagement de "dépenses de conservation" au sens de l'article 815-13 du Code civil (C. cass., Civ. 1ère, 7 juin 2006, n° 04-11.524 ; C. cass., Com., 10 févr. 2015, n° 13-24.659).
Rappelons que l'article 815-13 al. 1er du Code civil prévoit que :
Lorsqu'un indivisaire a amélioré à ses frais l'état d'un bien indivis, il doit lui en être tenu compte selon l'équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l'aliénation. Il doit lui être pareillement tenu compte des dépenses nécessaires qu'il a faites de ses deniers personnels pour la conservation desdits biens, encore qu'elles ne les aient point améliorés.
En l'espèce, les faits n'étaient que très classiques : un couple était uni par un pacte civil de solidarité, et avait acquis en indivision pendant cette union un bien immobilier ; au cours de la vie commune, l'un des partenaires avait, au moyen de deniers personnels (cette qualification n'étant pas contestée), remboursé ledit crédit par anticipation, permettant ainsi de le solder. Le couple s'étant séparé, s'était posée au cours des opérations liquidatives la question de savoir si ce remboursement par anticipation relevait des dépenses d'acquisition, ou des dépenses de conservation.
La question était d'importance, puisque les praticiens n'ignorent pas que dans le premier cas, l'article 815-13 du Code civil, qui prévoit que l'indivisaire solvens et qui a donc contribué, par ses fonds personnels, à la conservation du bien, doit se faire attribuer une indemnité, alors que dans le second cas, l'article 815-13 n'est pas applicable (la question se réglait sous l'angle des créances entre indivisaires, ou en cas de clause de remploi, du titre de propriété).
Le Juge aux affaires familiales, saisi de cette question, probablement dans le cadre d'un partage judiciairement ordonné, a donc saisi la Cour de cassation d'une demande d'avis.
La Haute Cour n'a pas fait dans l'ambiguïté, puisqu'elle retient, de façon tout aussi logique que concise, que le remboursement anticipé d'un prêt constitue une dépense de conservation.
La décision précisant :
La Cour de cassation juge que le règlement d'échéances d'emprunts ayant permis l'acquisition d'un immeuble indivis, lorsqu'il est effectué par un indivisaire au moyen de ses deniers personnels au cours de l'indivision, constitue une dépense nécessaire à la conservation de ce bien et donne lieu à indemnité sur le fondement du texte précité (1re Civ., 7 juin 2006, pourvoi n° 04-11.524, Bull. 2006, I, n° 284 ; 1re Civ., 15 mai 2018, pourvoi n° 17-16.166).
En effet, un tel règlement permet de préserver l'indivision d'un risque de défaillance de nature à entraîner la perte du bien indivis et, ainsi, de le conserver dans l'indivision.
Il n'est en effet pas discutable que le remboursement, même anticipé, d'un crédit immobilier, concourt à l'intérêt de l'ensemble des indivisaires, en ce qu'il sécurise la détention juridique, et éloigne le risque d'une saisie en cas d'interruption des remboursements, par exemple comme cela peut arriver au cours de la vie commune, lorsque des accidents de la vie ou des évènements imprévus viennent compliquer la situation financière des époux, partenaires ou concubins.
Évidemment, encore faut-il que ce remboursement anticipé n'entraîne pas, par application de la convention de crédit, des pénalités de remboursement anticipé.
Mentionnons que cette jurisprudence, qui était certainement déjà appliquée en de nombreux cas par les praticiens, est applicable quel que soit le type d'union, et quel que soit le type de crédit - la Cour de cassation ayant déjà jugé que l'article 815-13 du Code civil était applicable au remboursement des échéances d'un "prêt amortissable ou d'un prêt relais" (C. cass., Civ. 1ère, 26 janv. 2022, n° 20-17.898).
C'est donc une distinction, celle entre remboursement des échéances courantes et remboursement (total ou partiel) par anticipation du capital restant dû, qui vient s'effacer.
Rappelons qu'il est toujours de bon conseil de conserver la preuve de tous les mouvements de fonds au cours de la vie commune, et l'indivisaire qui, par une situation de fortune particulière, décide de solder le crédit de la maison, serait bien avisé de se ménager la preuve de l'origine des fonds.