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Prescription de l'action en réduction des libéralités : une mise au point nécessaire

Publié par Lauriane Fargues le 27 mai 2024 dans   Droit des successions et indivisions


Par un arrêt notable du 7 février 2024 (C. cass., 07 fév. 2024, n° 22-13.665), la Cour de cassation est venue apporter une précision nécessaire s’agissant de la prescription de l’action en réduction prévu par les dispositions de l’article 921 du Code civil. 

La loi du 23 juin 2006 avait ajouté le second alinéa à ce texte relatif à ce délai de prescription : 

« Le délai de prescription de l'action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l'ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès. »

Cette formulation, pour le moins ambigüe, a très vite donné lieu à plusieurs interrogations, tant en doctrine qu'en jurisprudence, la généralité de ses termes s’opposant à la spécificité des situations auxquelles elle a vocation à s’appliquer. 

Par ailleurs, le texte mentionnant différents délais et points de départ, il était difficile en pratique d'appliquer chaque délai à une situation donnée, ce qui pouvait différer en fonction de l'interprétation retenue.

La question était en effet de savoir si ce délai de deux ans s'appliquait dès l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession, c'est-à-dire dès le décès, ou dès lors que les héritiers réservataires avaient connaissance de l'atteinte à leur réserve ou alors si ce délai ne concernait que les situations dans lesquelles les héritiers avaient eu connaissance de cette atteinte, postérieurement à l’expiration du délai de cinq ans.

Dans le cas d’espèce examiné par la Cour de cassation, des époux étaient décédés (respectivement en 1989 et en 2015) et avaient laissé pour leur succéder quatre enfants. Trois d'entre eux ont assigné leur quatrième frère en partage de la succession de leurs parents et en réduction de libéralités et avantages qu'il aurait reçus du vivant de ces derniers.

L’action en réduction (introduite trois ans après l’ouverture de la succession) avait été jugée recevable par la Cour d’appel de Reims et l’un des enfants du défunt a été condamné à rapporter diverses sommes à la succession de son père au motif que : « le délai de prescription de l’action en réduction est fixé à cinq ans à compter de l’ouverture de la succession, ou à deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l’atteinte portée à leur réserve, sans jamais pouvoir excéder dix ans à compter du décès. »

Un pourvoi est interjeté et le demandeur reprochait alors à la Cour d’appel d'avoir retenu une interprétation erronée de l'article 921 du code civil, soutenant la cour d'appel a considéré qu'il résulterait de l'article 921 du code civil qu'un premier délai de cinq ans qui court, toujours, à compter du décès, et un second délai de deux années lorsque la connaissance de faits susceptibles d'avoir porté atteinte à réserve est connu d'un héritier tardivement, alors que, selon le demandeur au pourvoi, "ce texte exige, dans tous les cas, que le demandeur agisse dans les deux ans du jour où il a découvert l'atteinte à la réserve, la cour d'appel a violé l'article 921 du code civil".

C'est donc une interprétation particulièrement restrictive qu'entendait voir retenir le demandeur au pourvoi, en considérant que l'action en réduction devait, en tout état de cause, être engagée dans les deux ans de la connaissance de l'atteinte à la réserve, peu important que moins de cinq années se soient écoulées depuis l'ouverture de la succession.

La Haute Juridiction vient clore le débat (pour la première fois) en affirmant que l’action en réduction est soumise à un double délai, dont le point de départ diffère.

Selon elle : « Il résulte de ce texte que, pour être recevable, l'action en réduction doit être intentée dans les cinq ans à compter du décès ou, au-delà, jusqu'à dix ans après le décès à condition d'être exercée dans les deux ans qui ont suivi la découverte de l'atteinte à la réserve. »

Par cette décision, la Cour de cassation confirme l'interprétation retenue par la doctrine majoritaire : le délai de deux ans ne concerne que les situations dans lesquelles l'héritier aurait eu connaissance de l'atteinte à sa réserve plus de cinq ans après l'ouverture de la succession.

En revanche si l’héritier a connaissance de l'atteinte à sa réserve rapidement après le décès, il dispose donc toujours d'un délai de cinq années pour agir.

Cet arrêt ne peut que ravir les praticiens dans la mesure où la Haute juridiction confirme que l’action en réduction peut être intentée après l’expiration d’un délai de cinq ans à compter du décès :

  • si l’atteinte à la réserve a été découverte postérieurement à ce délai et que l’action est intentée dans les deux ans suivant cette découverte ;
  • sans jamais aller au-delà du délai butoir de 10 ans.

N.B : A toute fin utile, il convient de rappeler que l’action en réduction se prescrit en revanche par cinq ans, uniquement, en cas de donation-partage consentie par le défunt (art. 1077-2, al. 2 du Code civil), à compter du décès du décès du disposant en cas de donation-partage simple ou à compter du décès du survivant des disposants en cas de donation-partage conjonctive.