Successions et indivisions agricoles : le Président du Tribunal peut décider de l'usage provisoire de terres indivises
Dans le cadre d'une indivision contentieuse comportant des actifs de nature agricole, a-t-on l'obligation d'attendre l'issue d'un acte de partage pour entrer sur les terres ?
Les successions dites "agricoles" (où se retrouvent notamment du matériel et des terres affectées à un usage agricole, occupées ou non) présentent cette particularité qu'il est difficile d'envisager d'attendre le partage, et donc l'attribution des terres à tel ou tel indivisaire, pour que ces dernières puissent être exploitées et mises en valeur.
En effet, la route peut être longue avant le partage qui, rappelons-le, n'a qu'un effet déclaratif. L'attributaire qui reçoit les terres dans son lot est réputé en avoir été propriétaire depuis le décès du de cujus. Or des terres agricoles non cultivées, selon l'usage qui était le leur, perdent de la valeur ; des DPB non activés peuvent être perdus. Surtout, non exploitées, ces terres ne produisent rien.
Un arrêt rendu par la Première chambre civile de la Cour de cassation (C. cass., Civ. 1ère, 29 sept. 2021, n° 19-24.421) nous rappelle que, comme souvent en matière d'indivisions contentieuses, la solution est à rechercher du côté des articles 815 et suivants du Code civil.
La Haute Cour confirme une cour d'appel d'avoir fait une exacte application de l'article 815-9 du Code civil, qui prévoit ainsi :
Chaque indivisaire peut user et jouir des biens indivis conformément à leur destination, dans la mesure compatible avec le droit des autres indivisaires et avec l'effet des actes régulièrement passés au cours de l'indivision. A défaut d'accord entre les intéressés, l'exercice de ce droit est réglé, à titre provisoire, par le président du tribunal.
L'indivisaire qui use ou jouit privativement de la chose indivise est, sauf convention contraire, redevable d'une indemnité.
Dans l'affaire, il ne s'agissait pas d'une indivision successorale à proprement parler, mais d'une indivision résultant de l'acquisition par plusieurs frères de différentes terres agricoles qu'ils exploitaient en commun.
Manifestement, une brouille est intervenue au sein de la fratrie, concernant l'exercice par les frères de leurs droits d'usage et de jouissance respectifs des terres agricole indivises, amenant à une situation de blocage, où chacun contestaient les droits d'exploiter de l'autre.
L'un des indivisaires a donc assigné l'autre devant le Président du Tribunal judiciaire statuant "en la forme des référés" (dorénavant procédure intitulée "procédure accélérée au fond"), en sollicitant que ce dernier autorise l'exploitation d'un "lot" constitué de différentes parcelles par chacun des indivisaires.
L'autre indivisaire s'y est opposé, en contestant notamment le fait que ces deux lots soient de valeur égale, mais sans proposer de solution alternative ni un autre mode de répartition.
Après avoir constaté l'existence de désaccords en sein de la fratrie, la cour d'appel a considéré que les dispositions de l'article 815-9 du Code civil étaient applicables à la cause, et a approuvé l'ordonnance déférée qui avait ordonné la répartition par lots qui, le soulignent les juges d'appel, est par définition provisoire.
Cette décision est confirmée par la Cour de cassation, qui rappelle que ces dispositions, parfois difficiles à manier, peuvent trouver matière à s'appliquer même en cas d'indivision portant sur des actifs de nature agricole, ce qui permet de continuer à mettre les terres en valeur et à sauvegarder leur potentiel productif.
Surtout, ce type de décisions, même provisoires par nature, peuvent permettre de sortir d'une situation de blocage, puisqu'une fois les terres exploitées, il est plus difficile pour les indivisaires récalcitrants de contester une attribution devant le notaire (quelle que soit la valeur intrinsèque des différents lots, question qui se règle naturellement par l'attribution d'une soulte).
Il est ainsi nécessaire de prendre rapidement des mesures dans le cadre d'une situation analogue, où des terres agricoles se retrouvent tiraillées entre différents héritiers ou indivisaires susceptibles de les exploiter. Dans un premier temps, il convient de tout tenter pour parvenir à une sortie amiable du litige, et dans un second temps, en cas d'échec, de saisir le bon juge dans le cadre de la procédure adéquate. Rappelons que pour sortir judiciairement de l'imbroglio, le recours à un avocat est obligatoire, à peine d'irrecevabilité.