[Focus] Les baux ruraux à long terme
Rencontrés fréquemment, notamment à propos de terres dites "familiales", les baux ruraux à long terme conservent néanmoins certaines spécificités, qui peuvent les rendre particulièrement attractifs, pour les propriétaires comme pour les locataires.
L'encadrement juridique des baux ruraux à long terme est apparu avec Sloi du 31 décembre 1970, dont le but affiché était de protéger les intérêts de l'exploitant, en assurant la pérennité de son exploitation, tout en incitant, notamment fiscalement, les propriétaires à conclure de tels contrats.
Les types de baux à long terme et leur statut
Il existe ainsi deux types de baux à long terme : les baux de 18 ans, et les baux de 25 ans, au moins.
Ces baux sont par nature soumis au statut de droit commun du fermage, auquel il faut rajouter toute une série de dispositions spécifiques qui peuvent y déroger (articles L. 416-1 et suivants du Code rural). La superposition de ces régimes peuvent rendre la compréhension et l'exécution de ce type de baux particulièrement complexe.
D'emblée, il convient de souligner que les grandes lignes du statut du fermage s'appliquent intégralement aux baux à long terme : droit de préemption du locataire, indemnités de sortie, règles relatives à la résiliation, notamment pour faute du preneur.
L'une des particularités du bail à long terme est notamment qu'il doit être conclu par acte notarié (donc authentique), sauf certaines exceptions (tirées notamment de l'âge du preneur susceptible de prendre sa retraite à brève échéance). En effet, il doit être écrit (à défaut, il s'agirait d'un bail de neuf ans renouvelable), et puisque sa durée est supérieure à 12 ans, il doit faire l'objet d'une publicité foncière (l'article 710-1 du Code civil prévoyant que les formalités de publicité foncière supposent "un acte reçu en la forme authentique par un notaire").
Le bail à long terme suppose également la réalisation, dans le mois qui précède ou qui suit l'entrée en jouissance du preneur, d'un état des lieux, étape que l'on ne saurait d'ailleurs trop recommander de manière générale, pour préserver les droits de chacune des partie lors de la fin du contrat - et démontrer notamment la réalité et l'étendue d'éventuelles améliorations culturales.
En droit successoral, la conclusion d'un bail à long terme peut également s'imposer. En effet, l'article 832-2 du Code civil prévoit que "si une exploitation agricole [...] n'est pas maintenue dans l'indivision et n'a pas fait l'objet d'une attribution préférentielle [...], le conjoint survivant ou tout héritier copropriétaire qui désire poursuivre l'exploitation à laquelle il participe ou a participé effectivement peut exiger, nonobstant toute demande de licitation, que le partage soit conclu sous la condition que ses copartageants lui consentent un bail à long terme".
L'article 831-1 du Code civil permet en outre, en l'absence de demande d'attribution préférentielle par le conjoint survivant ou l'héritier ayant participé effectivement à l'exploitation, que cette attribution préférentielle soit accordée à un copartageant qui s'oblige alors à consentir un bail à long terme à un cohéritier ou descendant de cohéritier (ce dernier assurant donc son exploitation sans avoir à acquérir les terres).
Encore une fois, ce régime est fortement incitatif.
Les avantages du bail à long terme
Si pour le preneur la conclusion d'un bail à long terme suppose généralement un fermage majoré (selon les règles locales), l'outil principal d'incitation des bailleurs à la conclusion de tels baux est de nature fiscale. En effet, l'article 793, 2, 3° du Code général des impôts prévoit que les biens donnés à bail à long terme sont exonérés de droit de mutation à titre gratuit, à concurrence des trois-quarts de leur valeur. Concrètement, cette exonération s'applique en cas de donation du bien, ou de succession consécutive à un décès.
Cette exonération est cependant soumise à plusieurs conditions :
- en cas de donation (libéralité entre vifs), le bail doit avoir été consenti depuis au moins deux ans ;
- le bien doit rester la propriété du donataire, héritier ou légataire pendant 5 ans au moins à compter de la transmission à titre gratuit, sous peine de déchéance de l'exonération (rappel de droits et application des intérêts de retard) ;
- au-delà d'un certain montant (actuellement : 300.00€ de la valeur totale des biens transmis), l'exonération est ramenée à 50%.
Un récent arrêt (CA CAEN, 16 nov. 2021, n° 19/02794) est venu préciser que l'obligation de détention pendant 5 ans à compter de la transmission ne distingue pas selon que la propriété doit être directe ou indirecte. Ainsi, l'avantage fiscal n'est pas remis en cause lorsque les héritiers, qui avaient bénéficié de l'exonération de 75% des droits de mutation, avaient apporté, dans les mois suivant le dépôt de la déclaration de succession, les terres en toute propriété à un groupement foncier agricole (GFA), et ce alors même que la doctrine fiscale était contraire (celle-ci considérant que l'exonération était retirée en cas d'apport à un GFA, même si le bénéficiaire conservait les parts durant le délai de 5 ans).
Autre mécanisme d'incitation fiscale : les biens donnés en bail à long terme (18 ans au moins) dans le cadre familial sont considérés comme biens professionnels, et ne sont donc pas pris en compte pour le calcul de l'IFI (impôt sur la fortune immobilière).
Règles spécifiques applicables aux baux à long terme
S'agissant des baux de 18 ans au moins :
- le preneur bénéficie d'une garantie pendant 18 ans, qui fait obstacle à toute possibilité de reprise sexennale ou triennale par le propriétaire;
- le preneur bénéficie d'un droit au renouvellement, et ce par périodes de 9 ans, dans les conditions de droit commun du statut du fermage. Dans les mêmes conditions, le bailleur peut s'opposer au renouvellement (fondé sur un manquement du preneur, le respect des règles du contrôle des structures, ou l'âge de ce dernier), ou exercer son droit de reprise (dans des conditions allégées par rapport au droit commun).
- les parties ont la faculté, au sein du bail à long terme, de limiter conventionnellement la cession du bail aux descendants du preneur émancipés ou ayant atteint l'âge de la majorité. Encore une fois, compte-tenu des limitations apportés au statut de droit commun, cette possibilité est strictement encadrée, et toute clause limitative doit être rédigée avec soin. Attention : toute introduction d'une clause de ce type fait obstacle à l'exonération tirée de l'absence de prise en compte de la valeur des terres au titre de l'IFI.
S'agissant des baux de 25 ans au moins :
L'une des principales particularités des baux de 25 ans réside dans le fait que, sauf clause contraire de tacite reconduction, ce bail prend fin au terme stipulé sans que le bailleur ne soit tenu de délivrer aucun congé.
En revanche, si les parties introduisent dans le contrat une clause de renouvellement, ce renouvellement sera sans limitation de durée. Chacune des parties pourra en revanche y mettre fin, chaque année, suivant un préavis très particulier dit "long préavis". Ce préavis doit être donné par acte extrajudiciaire (exploit d'huissier), et prend effet "à la fin de la quatrième année suivant celle au cours de laquelle il a été notifié" (article L. 416-3 du Code rural). Ainsi, un bailleur qui souhaiterait s'opposer au renouvellement à l'issue des 25 ans (par hypothèse, lorsque le bail conclu comporte une clause de renouvellement), il doit notifier son congé au cours de la 21ème année.
En revanche, les mécanismes incitatifs fiscaux sont les mêmes que pour les baux de 18 ans au moins.
On le voit, les règles applicables aux baux ruraux à long terme peuvent se révéler délicates à manier, mais les avantages pour les uns (stabilité du preneur) et pour les autres (exonérations fiscales dans le cadre de la transmission des terres pour le bailleur) méritent largement qu'on s'y arrête.
Leur succès ne s'est en tout cas jamais démenti, et ils restent fréquemment rencontrés.